History of the Opera - Opéra de Monte-Carlo (2024)

En 1892, le prince Albert Ier nomme, à la tête de l'Opéra de Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg. Celui-ci va y rester jusqu'en 1951, accomplissant ainsi le plus long mandat de l'histoire du théâtre : près de soixante ans ! Sous sa direction, l'Opéra de Monte-Carlo vadevenir l'un des phares de la vie lyrique européenne, avec des saisons riches en ouvrages ambitieux et en créations, et la présence d'artistes d'exception. Certes, les moyens mis à la disposition du directeur ne manquent pas, avec le mécénat attentif et constant des princes souverains, mais Gunsbourg est avant tout un audacieux et talentueux entrepreneur de spectacles, grâce à qui descélébrités du théâtre et de l'opéra, comme Sarah Bernhardt, Mounet-Sully, Emma Calvé, Caruso ou Chaliapine furent desfamiliers du Rocher.

Les années de jeunesse

​​Il ne faut pas imaginer, deRaoulGunsbourg, un itinéraire rectiligne qui l'aurait conduit classiquement d'un conservatoire à la scène et à la direction d'un opéra. Ses années de jeunesse sont beaucoup plus éclectiques, voire agitées. Il naît àBucaresten 1860. Sonpère est un officier français d'administration, attaché à l'état-major du généralCanrobertpendant la guerre deCrimée. Sa mère, que l'officier français épouse en 1855, est roumaine et fille d'un rabbin. Peu après la naissance de son fils, l'officier est envoyé enChine pour prendre part à la seconde « guerre de l'opium » (la France y appuyait l'Angleterre dans ses opérations destinées àforcer l'empire du Milieu à s'ouvrir davantage au commerce avec l'Occident). Le père deGunsbourg, mortellement blessé, seraenterré àShanghai.

Bachelier à quinze ans, le jeuneRaoulGunsbourgaurait entamé des études de médecine qu'il interrompt rapidement pourprendrepart à la guerrerusso-turquede 1877-1878, d'abord en qualité d'infirmier, puis comme combattant. Blessé au siège deNicopoli(oùil a joué un rôle déterminant dans la prise de la forteresse, haut fait qui lui vaudra la faveur du tsar),Gunsbourgestsoigné dansle mêmelazaretqu'un chef de musique militaire. Celui-ci lui apprend à lire et écrire la musique. Et voilà toute laformation musicale de celui qui composera plus tard plus d'une demi-douzaine d'opéras !RaoulGunsbourgprécisera que,par0160lasuite, il se perfectionna seul « dans l'étude du contrepoint, et toujours, toujours, sans aucun instrument ».

​La fin de la guerre le ramène àBucarestoù il interprète de petit* rôles dans des troupes de théâtre de passage. Mais ce n'est qu'unintermède. C'est à Paris qu'il veut aller pour y reprendre ses études de médecine. Dans la capitale française, il survit enécrivant de courtes pièces pour des théâtres de second plan commel'Eldorado, leBataclanou laScala. En 1880, il se rend àMoscou, où la faveur impériale que continue de lui accorderAlexandreIII, succédant à son père, le tsar réformateurAlexandreIIassassiné le1ermars1881, lui permet de créer un théâtre lyrique français.Gunsbourgaurait été invité à présenter devant la famille impériale, àTsarskoïeSelo, l'opéra deSaint-Saëns,SamsonetDalila, qui connut ainsi sa première exécution en Russie. L'ouvrageétait dirigé parLéonJehin, que l'on retrouvera plus tard aux côtés deGunsbourgà l'Opéra deMonte-Carlo. L'épouse duch*ef, l'excellente cantatrice BlancheDeschamps-Jehininterprétait le rôle deDalila.

À partir de 1889,RaoulGunsbourgfuit les rigueurs de l'hiver russe et prend l'habitude de passer la mauvaise saison en France, pays où il va bientôt s'établir de façon définitive. Il obtient d'abord le poste de directeur de l'Opéra deLille, puis de celui deNiceen1890-1891. Là, sa première saison provoque étonnement et admiration dans la presse locale : LesHuguenotsdeMeyerbeer, puisDonGiovannideMozart,RoméoetJuliettedeGounod,Meyerbeerà nouveau avec L'Africaine,Otellode Verdi etHérodiadedeMassenet. L'année suivante, il affiche vingt-quatre ouvrages différents, dont une demi-douzaine n'avait encore jamais été représentée àNice. Malgré cette profusion, l'approbation de la presse et de la critique se fait moins unanime.Gunsbourgdécidealors de ne pas briguer le renouvellement de son mandat. Il envoie une offre de services au directeur de la Société des bains de mer deMonaco. La nomination est d'autant plus aisément acquise que le tsarAlexandreIIIécrit au princeAlbertIerdeMonacopour le prier d'accorder la direction de son théâtre àRaoulGunsbourg. « Le prince accéda à ce désir », commente sobrement l'intéressé dans son livre de souvenirs. […]

Le lancement international de l’Opéra de Monte-Carlo

À Monaco, Raoul Gunsbourg commence prudemment, probablement pour ne pas effaroucher les spectateurs. Les premiers ouvrages, prévus par son contrat, sont en effet dans le droit fil des saisons précédentes : Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer, Carmen, Latraviata, Lucia di Lammermoor et Roméo et Juliette (ces trois derniers ouvrages avec la grande cantatrice Marcella Sembrich).

C'est alors que Raoul Gunsbourg frappe un coup qui va consacrer sa réputation à Monaco, en France, en Europe et dans le monde entier. Le 18 février 1893, les spectateurs monégasques assistent en effet, médusés, à la création scénique de La Damnation deFaust de Berlioz, dans une mise en scène de Gunsbourg lui-même, qui marque prodigieusem*nt le public. L'événement mérite qu'on s'y attarde quelque peu, ne serait-ce que parce que la légende dramatique de Berlioz n'avait, depuis sa création en 1846, connu que quelques dizaines d'exécutions en concert, et qu'elle connaîtra plusieurs milliers de représentations à la suite du coup degénie de Gunsbourg.

La production de Gunsbourg, quant à elle, sera exportée en Italie, aux Pays-Bas et à Paris. Elle connaîtra quelque 350représentations et sera reprise, à l'Opéra de Monte-Carlo, jusqu'en 1949 ! Cette production est également emblématique dela0160façon de travailler du nouveau directeur : importance de la mise en scène et soin apporté à sa réalisation, distributionsoignée et souci de la «communication» (avant l'heure) avec l'invitation de la presse nationale et spécialisée.

Avec l'accord des héritiers de Berlioz, trop heureux de voir ainsi leurs droits d'auteur faire un bond considérable (un contrat passé avec eux assurera d'ailleurs à Gunsbourg un quart des droits sur la nouvelle version), il transforme les quatre parties de0160LaDamnation en cinq actes et douze tableaux (il ramènera ce nombre à dix par la suite) et s'attache à montrer réellement sur scène ce que le XIXe siècle laissait jusque-là à l'imaginaire du spectateur. Avant l'heure, il est l'homme du siècle de l'image… C'est évidemment au dernier acte, avec la « Course à l'abîme », lorsque Faust et Méphisto galopent vers l'enfer, que culmine letravail de Gunsbourg. […]

Les représentations de La Damnation de Faust à peine terminées, Gunsbourg s'attaque à un autre de ses projets ambitieux : il monte Tristan et Isolde, le chef-d'œuvre de Richard Wagner. Cette création monégasque, en version française, est assez froidement accueillie. Il faut dire que présenter Tristan à un public jusqu'ici habitué à Rigoletto et à Carmen, c'est pour le moins bousculer seshabitudes ! Pour la petite histoire, on notera que Tristan sera présenté au théâtre de La Monnaie à Bruxelles la saison suivante, en mars 1894, mais ne paraîtra à Paris qu'en 1899 et à l'Opéra en 1904 (toujours dans sa traduction française). On mesure làencore le talent novateur de Gunsbourg.

Au terme de sa première saison, celui-ci peut être satisfait. Il a entamé de façon spectaculaire le renouvellement du répertoire joué àMonaco en y introduisant un chef-d'œuvre de l'école romantique française et un drame wagnérien, emblématique de la « musique de l'avenir ». On retrouvera cette volonté novatrice et de promotion de la musique française durant toute sa longue carrière. Jusqu'àla Seconde Guerre mondiale (après celle-ci, Gunsbourg, qui a 86 ans lorsqu'il retrouve son fauteuil directorial, seramoinsnovateur) il va faire de l'Opéra de Monte-Carlo le point de mire de la vie lyrique internationale, en provoquant la création d'œuvres nouvelles, et en découvrant les futures gloires du chant ou de la danse.

La création d'œuvres nouvelles

Dès la saison 1894, Raoul Gunsbourg commence à présenter au public monégasque des opéras en création mondiale, qu'il s'agisse d'œuvres de compositeurs au faîte de leur gloire ou de débutants. Entre 1894 et la Seconde Guerre mondiale, ce sont près dequatre-vingts ouvrages lyriques, opéras et ballets qui seront créés à Monaco !

​​Sans les énumérer tous ici, d'ailleurs beaucoup sont depuis tombés dans l'oubli, on mentionnera Hulda de César Franck, crééen1894, quatre ans après la mort du compositeur, La Jacquerie d'Édouard Lalo, là aussi un ouvrage créé à titre posthume en1895 (Lalo était mort en 1892), puis l'année suivante encore un ouvrage inachevé de César Franck, Ghisèle. Cette série decréations d'ouvrages inédits de grandes figures de l'école française disparues depuis peu montre bien l'intérêt de Gunsbourg pourla musique française. Il rend ainsi, sur la scène de l'Opéra de Monte-Carlo, cet hommage manifeste à Franck et à Lalo, hommage qu'on aurait plutôt attendu à l'Opéra de Paris. Mais ce ne sera pas la seule fois que Gunsbourg distancera de la sorte la«Grande Boutique » !

​Le succès est relayé par la presse. Dès la saison 1894, Le Figaro écrit : « On va maintenant à Monte-Carlo comme on va à Bayreuth, avec cette différence qu'à Monte-Carlo le répertoire revêt un caractère éclectique et international. »

​​À la même époque, le public monégasque découvre Amy Robsart d'Isidore de Lara, compositeur d'origine britannique bien oublié depuis mais qui eut alors son heure de gloire. L'œuvre, créée à Londres l'année précédente, est donnée à Monaco en 1894 –avecMarcella Sembrich et Melchissédec– et reprise ensuite chaque saison jusqu'en 1899. Une telle régularité s'explique parlafaveur dont jouissait le compositeur auprès des souverains –il était le conseiller artistique de la princesse Alice– plus sansdoute que par les qualités intrinsèques de son œuvre. Dans le même temps, l'Opéra de Monte-Carlo affichera aussi d'autresouvrages de Lara : Moïna de 1897 à 1899, La Lumière de l'Asie en 1898, Messaline en 1899 et 1900. Après quoi, onn'entendra plus parler de Lara. L'intérêt du prince Albert Ier pour les arts vient soutenir la politique de Gunsbourg. Le souverain accorde son patronage à l'Opéra deMonte-Carlo en 1898. Par ailleurs, il est très lié avec Massenet et Saint-Saëns, dont il devient lecollègue à l'Institut en 1891. Illes invite souvent à séjourner à Monaco, où les compositeurs sont les hôtes du palais princier.
​C'est ainsi que, à partir de 1902, année de la création à Monaco du Jongleur de Notre-Dame, presque tous les ouvrages de Massenet verront le jour dans la principauté : Chérubin en 1905 (avec Mary Garden, la créatrice de Pelléas et Mélisande), Thérèse en 1907, leballet Espada en 1908. La saison 1910 voit la création de Don Quichotte. L'événement mérite qu'on s'y attarde un instant, d'autant que c'est Raoul Gunsbourg qui avait été à l'origine de l'œuvre. Il avait vu jouer, en 1904, la pièce de Jacques Le Lorrain, authéâtre Victor-Hugo qui était alors boulevard Rochechouart à Paris. Enthousiasmé, il en parle à Massenet et lui suggère d'écrire unopéra qu'il se propose de créer à Monte-Carlo. Massenet se rend au théâtre et s'enthousiasme également. Henri Cain est chargé d'adapter la pièce pour en faire un livret d'opéra. La première a lieu le 19 février 1910, avec une mise en scène de Raoul Gunsbourg et des décors d'Alphonse Visconti. Les décors lumineux d'Eugène Frey ajoutent encore à la poésie du spectacle. Le triomphe esttotal, pour l'œuvre, pour le spectacle et, bien sûr, pour les interprètes, la basse russe Chaliapine en tête… sans oublier LucyArbell dans le rôle de Dulcinée et André Gresse en Sancho Pança. Pour imaginer l'effet produit par Chaliapine, il suffit desereporter aux comptes rendus de l'époque. Le critique Louis Schneider écrit ainsi, dans Le Théâtre d'avril 1910, au terme d'uneanalyse de quatre pages : « Lorsque Don Quichotte – Chaliapine – est apparu au premier acte sur son Rossinante, ce fut unelongue acclamation. Avec son plat à barbe qui lui sert de coiffure, avec sa lance au poing, avec sa cuirasse noircie et rouillée, avec sa figure émaciée, ses mollets étiques, avec sa barbiche longue, Chaliapine est arrivé à faire vivre une figure de Don Quichotte qui réunirait la profondeur géniale d'un Goya, la grandeur épique d'un Gustave Doré, l'esprit minutieux d'un Léandre. Le comédien n'est pas moins surprenant : Chaliapine émeut jusqu'aux larmes, il fait rire, il terrasse le spectateur par son autorité, et sa belle voix est d'une expression, d'une chaleur, et aussi d'une musicalité prodigieuses. »

Après ce succès, l'Opéra de Monte-Carlo crée encore Roma en 1912, puis, après la disparition de Massenet, Cléopâtre en 1914 etAmadis en 1922. Gunsbourg programmera de nombreuses autres œuvres de Massenet. Pour la petite histoire, on retiendra ainsique Le roi de Lahore fut représenté en 1906, avec une brillante distribution qui réunissait Geraldine Farrar, Charles Rousselière et Maurice Renaud. C'est pourtant une danseuse au parfum de scandale qui fera passer ces représentations à la postérité : elles'appelait Mata-Hari.

​​​Camille Saint-Saëns fait, lui aussi, monter ses derniers opéras à Monte-Carlo : Hélène en 1904 (avec Nellie Melba), L'Ancêtreen1906 (avec Félia Litvinne et Geraldine Farrar) et Déjanire en 1911 (avec Félia Litvinne à nouveau, et Lucien Muratore). Il faut aussi mettre à l'actif de Gunsbourg la création, en 1906, de Don Procopio de Bizet qui n'avait pas été représenté depuis queBizet l'avait composé en 1858-1859 pour le Prix de Rome. Événement plus considérable, la création de Pénélope deGabrielFauré en 1913 aura causé des soucis au compositeur, persuadé que Gunsbourg s'occupe davantage de son propre opéra (Venise, qui sera montée peu après) que de sa Pénélope. Lucienne Bréval, la créatrice de l'écrasant rôle-titre est souffrante, au point qu'on fait apprendre le rôle à Félia Litvinne… Finalement, Lucienne Bréval chantera et l'œuvre de Fauré triomphera.

La musique italienne doit aussi beaucoup à Gunsbourg puisqu'il assurera la création d'Amica de Mascagni en 1905, avecGeraldineFarrar, ou de La Rondine de Puccini en 1917, avec notamment Tito Schipa.
Raoul Gunsbourg, en dépit de sa formation musicale restreinte, a été compositeur d'opéras. Il fera jouer à Monaco : Le Vieil Aigle en1909, dont il écrit le livret et la musique tout en laissant le soin à Léon Jehin de réaliser l'orchestration (l'ouvrage sera repris ensuite par l'Opéra de Paris et restera au répertoire jusqu'à la Grande Guerre), puis Ivan le Terrible en 1911 (ouvrage créé àBruxelles peu avant par autorisation spéciale du prince), Venise en 1913, Manole en 1918, Satan en 1920, Lysistrata en 1923.

La guerre de 1914-1918 ralentit quelque peu la vie artistique de la principauté. Dix-sept ouvrages sont encore à l'affiche en 1914, mais il n'y en a plus que sept en 1915, dix en 1916, et l'on ne programme que des reprises. Si, après-guerre, le rythme des créations faiblit quelque peu, l'activité lyrique se développe cependant. Certaines saisons affichent vingt-trois ouvrages différents, soit près de cinquante représentations, alors que la saison ne dure qu'à peine plus de trois mois ! Dans cette période d'entre-deux-guerres, deux événements connaîtront un retentissem*nt mondial. La création de L'Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel, sur un livret de Colette, a lieu le 21 mars 1925. L'ouvrage aétécommandé à Ravel dès 1917 par Jacques Rouché, directeur de l'Opéra de Paris. La genèse en sera lente et c'est finalement àMonte-Carlo que cette « fantaisie lyrique » est donnée pour la première fois sous la direction d'un chef d'exception, Victor deSabata, les ballets étant réglés par Diaghilev (de mauvaise grâce, le chorégraphe ne s'entendant pas avec Ravel). La première estun triomphe pour le compositeur qui assiste à la représentation. « Une fois de plus, peut-on lire dans Le Gaulois, l'OpéradeMonte-Carlo a servi la cause de la musique française en donnant au monde un nouveau chef-d'œuvre. »

Le 11 mars 1937, L'Aiglon, opéra en cinq actes qui suit assez fidèlement le drame d'Edmond Rostand, voit le jour surlascènemonégasque, avec Fanny Heldy dans le rôle du duc de Reichstadt, entourée de Vanni Marcoux et Arthur Endrèze. Leprojet avait été soumis par Gunsbourg à deux compositeurs, Arthur Honegger et Jacques Ibert qui décidèrent d'y travailler ensemble, le premier se réservant les actes II et IV, le second les actes I et V. Tous deux travaillèrent ensemble à l'acte III, siétroitement qu'ils purent affirmer, non sans malice : « L'un a écrit les bémols, l'autre les dièses. » C'est un nouveau triomphe pour Gunsbourg et pour tous les interprètes. L'Aiglon sera repris à l'Opéra de Paris quelques mois plus tard avec le même succès. […]

De grands chanteurs à Monte-Carlo

La politique artistique de Gunsbourg repose aussi sur l'engagement de grands chanteurs et parfois de talents prometteurs qui seront consacrés grâce à lui.

C'est ainsi que, parmi les dames, on a entendu : Félia Litvinne, Adelina Patti, Rose Caron, Nellie Melba, Emma Calvé, Claudia Muzio, Toti Dal Monte, Eidé Norena, Conchita Supervia (qui chante Carmen en 1931 et 1932) ou encore Germaine Lubin… Le versant masculin est aussi brillant avec : les frères de Reszké, Francesco Tamagno, Enrico Caruso (dès 1902), Victor Maurel, TittaRuffo, Giovanni Martinelli, Mattia Battistini, Tito Schipa, Beniamino Gigli, Georges Thill, Aureliano Pertile ou encore Féodor Chaliapine.

Le plus connu est incontestablement Caruso qui fut engagé pour chanter dans La bohème de Puccini et Rigoletto de Verdi en 1902. Il paraîtra encore à Monaco en 1903 (Tosca) et 1904 (Rigoletto, La bohème, L'elisir d'amore et Aida). Gunsbourg raconte danssesSouvenirs qu'il découvrit Caruso alors que celui-ci poussait la chansonnette dans un bordel milanais etqu'illuifitapprendre Rigoletto ! La réalité est moins romanesque. Caruso avait débuté sa carrière en 1894 et il avait déjà créé L'Arlésienne de Cilea et Fedora de Giordano au Teatro Lirico de Milan quand Gunsbourg l'engagea. Mais il est vrai que Gunsbourg contribua à lancer la carrière internationale du chanteur et que celui-ci, même au faîte de sa gloire, resta fidèle à Monaco. En 1915, en pleine guerre, il n'hésitera pas à traverser l'Atlantique pour donner un peu d'éclat à la saison de Gunsbourg : il chantera ainsiAida, Rigoletto, Lucia di Lammermoor et I Pagliacci.

Mais plus encore que Caruso, c'est Chaliapine qui marquera l'histoire de l'opéra à Monaco de son empreinte. Si Chaliapine estapparu en Europe occidentale d'abord à la Scala de Milan, en 1901 dans Mefistofele de Boito, avec Caruso et sous la direction de Toscanini, il se produit dès 1905 à Monte-Carlo. Pour cette saison, Gunsbourg a monté une « trilogie » autour du mythe de Faust, avec l'ouvrage de Gounod, Mefistofele de Boito et La Damnation de Faust de Berlioz. Chaliapine incarne Méphistophélès danslesdeux premiers ouvrages, aux côtés d'Emma Calvé dans l'opéra de Boito et de Geraldine Farrar dans celui de Gounod.

La saison suivante, 1906, Chaliapine est à nouveau à l'affiche de l'Opéra de Monte-Carlo, dans la reprise de Mefistofele, puis dansDon Carlo de Verdi et enfin dans Le Démon d'Anton Rubinstein (chanté en français, sauf par Chaliapine qui interprète le rôle-titre dans la langue originale). En 1907 et 1908, la basse russe est programmée dans trois opéras chaque saison, puisdanscinqproductions en 1909 et 1910, six en 1911 ! En janvier 1912, il assure l'ouverture de la saison dans le rôle du tsar de Boris Godounov, représenté avec une distribution entièrement russe formée des « artistes des Théâtres impériaux de Moscou etdeSaint-Pétersbourg ». Il participe ensuite à la reprise des productions de Don Quichotte, Le Barbier de Séville, Don Carlo etMefistofele. En 1913, Chaliapine chante encore dans trois productions.

Ensuite Monaco devra attendre près de vingt ans pour retrouver la basse russe, en 1931 dans Boris Godounov et Don Carlo, puisépisodiquement dans Boris en 1933, 1934 et 1937. Certes la Grande Guerre et l'effondrement de l'empire des tsars sontpassés par là. Mais dès 1922, Chaliapine avait quitté définitivement la Russie bolchevique et menait sa carrière en Occident. Faute d'éléments d'appréciation irréfutables, on est réduit à penser que, fort probablement, Chaliapine et Gunsbourg nes'entendaient pas si bien que cela, qu'ils avaient tous deux de trop fortes personnalités pour ne pas se heurter. Mais Chaliapine etGunsbourg avaient en commun le goût du théâtre et le souci du réalisme scénique. C'est parce que leur conception delareprésentation était la même que cet attelage mal assorti a pu fonctionner pendant près de dix ans avant-guerre, et se reformer dans les années trente.

Fin de règne…

La Seconde Guerre mondiale provoque la fermeture de l'Opéra. Il n'y a pas de saison à Monte-Carlo entre 1940 et 1942. Le théâtre rouvre en 1943, mais Gunsbourg qui est juif ne peut exercer de fonction officielle. Il retrouvera son fauteuil en 1946 et ouvrira sasaison en reprenant sa chère Damnation de Faust.

Les choses reprennent peu à peu leur cours, on affiche Lily Pons dans Lucia ou dans Lakmé, Geori Boué dans Thaïs ou dans Roméo et Juliette, une jeune chanteuse se fait remarquer dans Marguerite de Faust en 1951, c'est Régine Crespin. La même saison, MadoRobin enchaîne les vocalises de Lakmé, de Lucia ou du Rossignol de Stravinsky, mais la grande époque de l'Opéra de Monte-Carlo appartient au passé. Le 31 mars 1951, Raoul Gunsbourg se retire ; il est âgé de 91 ans.

Durant plus d'un demi-siècle, sous le règne de trois princes, Albert Ier, Louis II et Rainier III, il aura assuré la continuité d'unepolitique artistique hors pair alliant la variété du répertoire (français, allemand, italien, russe) de toutes les époques pourintéresser un public varié ; il aura attiré à Monte-Carlo les plus grands chanteurs de son temps et souvent découvert lesfuturescélébrités, réunissant des distributions que même le Met de New York pouvait lui envier ; et il aura ainsi assurélarenommée internationale de l'Opéra de Monte-Carlo.

Quatre ans après avoir abandonné ses fonctions à la tête de l'Opéra de Monte-Carlo, Raoul Gunsbourg meurt à Monaco, le 31 mai 1955, à l'âge de 95 ans.

Philippe Thanh

Extraits du livre « L'Opéra de Monte-Carlo, renaissance de la salle Garnier »
Éditions Le Passage, 2005
lepassage-editions.fr

Photo: Bieler, 1909

History of the Opera - Opéra de Monte-Carlo (2024)

FAQs

History of the Opera - Opéra de Monte-Carlo? ›

It was founded in 1879 by Prince Charles III of Monaco and designed by Charles Garnier, whose name has become synonymous with architectural beauty. Throughout its history, the Monte Carlo Opera has been the setting for numerous outstanding productions and events.

Why is Monte-Carlo so famous? ›

Monte Carlo is situated on a prominent escarpment at the base of the Maritime Alps along the French Riviera. Near the quarter's western end is the "world-famous Place du Casino, the gambling center ... that has made Monte Carlo an international byword for the extravagant display and reckless dispersal of wealth".

What is the meaning of Monte-Carlo? ›

Monte Carlo in British English

(ˈmɒntɪ ˈkɑːləʊ , French mɔ̃te karlo ) noun. a town and resort forming part of the principality of Monaco, on the Riviera: famous casino and the destination of an annual car rally (the Monte Carlo Rally).

What is the difference between Monaco and Monte-Carlo? ›

Monte-Carlo is one of the nine districts that make up the city state of Monaco. Originally, this district covering around 80 hectares accounted for 21% of the Principality's territory and was known as the Spélugues plateau, after the Monegasque name for the caves located there.

Does Monaco have an opera house? ›

The Opéra de Monte-Carlo is an opera house which is part of the Monte Carlo Casino located in the Principality of Monaco.

Why is it illegal for Monaco citizens to enter Monte Carlo? ›

The citizens of Monaco are forbidden to enter the gaming rooms of the casino. The rule banning all Monegasques from gambling or working at the casino was an initiative of Princess Caroline, the de facto regent of Monaco, who amended the rules on moral grounds.

What is the significance of Monte Carlo? ›

The Monte Carlo simulation provides multiple possible outcomes and the probability of each from a large pool of random data samples. It offers a clearer picture than a deterministic forecast. For instance, forecasting financial risks requires analyzing dozens or hundreds of risk factors.

Is Monte-Carlo Italian or French? ›

Monte-Carlo is a district of Monaco whose total area has been peacefully extended by 20% in reclaiming land from the sea. The Official Language is French. However, Monegasque, Italian, and English are also widely understood and spoken.

What does Carlo mean in French? ›

In French Baby Names the meaning of the name Carlo is: Strong.

Is Carlo Spanish or Italian? ›

The name Carlo has its origins in the Italian language and derives from the word carlo meaning man. This name holds significance in both historical and contemporary contexts. Throughout history, individuals bearing the name Carlo have emerged as notable figures in various regions and eras.

Is Monaco more French or Italian? ›

Over 139 nationalities live in Monaco, with French (9,286), Italians (8 172), and British (2,795), as well as Swiss (1,187) and Belgians (1,073) having the largest share of the population. French is the official language of Monaco, but Italian and English are widely used.

Why is Monaco not part of France? ›

Although Monaco was directly annexed to the First French Republic in 1793 during the French Revolution, it regained its independence and sovereignty in 1814, both of which were reaffirmed by the 1815 Treaty of Vienna.

What is a Monaco person called? ›

Monaco nationals, who are subjects of His Serene Highness the Sovereign Prince, are called Monegasque, sometimes wrongly called Monacans.

What Princess lives in Monaco? ›

Princess Charlene (born January 25, 1978, Bulawayo, Rhodesia [now in Zimbabwe]) is the consort (2011– ) of Albert II, prince of Monaco. She previously was a champion swimmer.

Which royals live in Monaco? ›

The Grimaldi family, which has ruled Monaco for eight centuries, is Europe's longest-ruling royal family. The reigning prince is Albert II, who ascended in April 2005.

Where is the most beautiful opera house in the world? ›

La Scala in Milan, Italy

La Scala in Milan is the star opera house of the opera world. It is built in the shape of a horseshoe. This very particular form was adopted by many other opera houses built long afterward, including the Paris, Vienna and London opera houses.

What is so great about Monte Carlo? ›

This glamorous palace is full of frescoes, sculptures, and features an astonishing gold and marble atrium—not to mention the main attraction—gambling! Steeped in 700 years of Grimaldi royal history, Monte-Carlo's location is stunning, tucked between French medieval villages and the Alps.

Why are people in Monte Carlo so rich? ›

So how did this happen? The big draw is tax. The principality scrapped income taxes back in 1869, and other tax rates for companies and individuals are exceptionally low. The prospect of keeping hold of most of their wealth has attracted people from over 100 nations.

Why do celebrities live in Monte Carlo? ›

Monaco is a tax haven, with no personal income, capital gains or investment taxes. For tennis' top earners—such as Djokovic, ranked No. 1 on Forbes' list of the world's highest-paid tennis players with estimated earnings of $38.4 million over the last 12 months—the savings could be worth millions.

What is Monte Carlo brand famous for? ›

Monte Carlo: A mid-premium and premium range of brand, known for quality & wide variety in area of its operations. The brand's winter wear is developed from pure wool such as Australian Merino Wool certified with the Woolmark, a stamp for quality approved by the International Wool Secretariat.

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